Agriavis Forum,l'agriculture discutée par les agriculteurs!

"-----Message d'origine-----
De : Gaël GOUNOT [mailto:g.gounot@wanadoo.fr]
Envoyé : dimanche 30 août 2009 18:07
À : André Lefranc
Objet : message à transférer à tes listes, si tu veux

Bonjour à tous,

Je suis votre « combat » depuis plusieurs mois, et je voulais vous donner mon sentiment et mes impressions.

Tout d’abord, je me présente rapidement : je suis vétérinaire praticien, basé à Fougères (Ille-et-Vilaine), je travaille avec des éleveurs laitiers (nous sommes 8 vétos au sein de ma structure, et l’activité bovine laitière représente 50% de l’activité)…et je me suis beaucoup impliqué il y a quatre ans maintenant dans les péripéties qu’ont connues les éleveurs de l’ex-laiterie NAZART (en faillite, reprise par la suite par LACTALIS, après une vraie guerre des tranchées qui a duré deux ans…M. LEMETAYER et ses sbires venaient régulièrement rouler dans la farine les éleveurs du secteur, en leur promettant monts et merveilles concernant d’éventuels repreneurs !!!). J’ai pris beaucoup de risques dans cette affaire, mais mon indépendance me le permettait.

Pourquoi votre avenir m’intéresse ? Parce que nous sommes nombreux à vivre grâce à vous. A titre d’information, depuis le début de la crise laitière, l’activité rurale dans les cabinets vétérinaires a baissé de 15% en moyenne (chez nous, cela représente l’emploi d’un véto – actuellement, il y a donc un véto de trop dans ma structure). Ici, on s’y attendait car on avait déjà connu ça lors de l’affaire NAZART, mais pour bon nombre de mes confrères, c’est dur à encaisser (alors souvent, ils essaient de développer une autre activité, quand ils le peuvent, plutôt que d’essayer de comprendre et lutter contre l’incohérence du système).

Concernant la reprise des ENTREMONT par SODIAL : on arrive à la veille du SPACE, et comme cela avait été le cas pour les NAZART, c’est toujours à ce moment-là (quelques jours avant le SPACE) que les choses trouvent une issue (même si dans ce cas, on reste perplexe, surtout quand on voit que politiquement ce n’est pas clair – je ne parle pas de la FNSEA et de son lobbying, mais des relations décrites par Ouest-France entre certains actionnaires d’ENTREMONT et l’Elysée…D’autant plus que le journal parle en plus d’un maintien des sites d’activités, alors que dans le rapport TREDE : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ … dex.shtml, il est clairement dit qu’il faut une restructuration des transformateurs en France…)



Ce qui a perdu les agriculteurs, c’est :

-          Qu’ils ont voulu faire un autre métier que le leur (être transformateur également) : il faut choisir, on ne peut pas être à la fois vendeur et acheteur d’un même produit ! Donc soit vous restez agriculteurs, soit vous devenez transformateurs (ou autre)

-          Que leurs représentants ne sont plus représentatifs de la base, qu’ils ne savent plus ce qu’est le travail en ferme (malheureusement, c’est la même chose dans tous les corps de métier : chez nous, les vétos qui ont des responsabilités dans des organisations au niveau national ne font plus de garde, et pratiquent de moins en moins…Ils peuvent s’écarter de notre activité, et de temps en temps, il faut les « recadrer »), et passent plus de temps à copiner avec les industriels (et je sais de quoi je parle), qu’à vouloir se battre pour ceux qui les ont élus

Donc j’espère, concernant le mouvement de l’APLI, pour avoir assisté à plusieurs réunions (y compris à la télé – excellente idée, cette retransmission de SEGRE), qu’un des objectifs primordiaux sur le fonctionnement de cette association est la représentativité des élus : les responsables nationaux de l’APLI EMB ne doivent pas rester pas à vie dans leurs sièges…et ne pas jouer le jeu des chaises musicales. En Ille-et-Vilaine, un des représentants agricoles, avec toutes les casquettes qu’il a actuellement, pourrait faire une réunion de 5 organismes à lui tout seul… Comment voulez-vous, dans ce cas, avoir un regard objectif sur les affaires en cours, et prendre de bonnes décisions ?



Concernant une action forte (grève du lait) : dans la région fougeraise (premier bassin laitier de France), les éleveurs sont pour l'instant peu enclins à faire la grève. On a déjà connu ça pendant l’affaire NAZART, parce que les gens se disaient « on a fait nos calculs / on a un peu de réserve ; suffit de tenir un peu, et ça devrait passer ». Actuellement, on a plutôt le discours « août et septembre sont les deux mois les mieux payés, alors on ne va pas jeter de lait »…

Je ne sais pas quelle action il faut avoir. Ce que je pense, c’est que si vous ne faites rien, vous êtes foutus (et tout le para-agricole qui ne rentrera pas dans la contractualisation avec vous)…et qu’il faut faire quelque chose VITE (vont venir les ensilages, les jours vont raccourcir, etc…). En discutant avec des organismes comptables (au niveau national), au rythme actuel, c’est 30% de dépôts de bilan dans les 6 mois (les gens vont faire le dos rond jusqu’à la fin de l’année, puis vont s’écrouler au premier trimestre 2010) !

Produire moins fait partie bien évidemment des solutions : dans l’automobile, quand il y a eu la crise financière et donc moins d’achats, il y a eu du chômage technique et arrêt de la production, qui a repris une fois le stock écoulé…Etrange qu’on vous propose de produire plus, alors qu’il y a des stocks à gogo !

Ici, avec la baisse du prix du lait, les premiers touchés vont être ceux qui viennent de se mettre aux normes (beaucoup d’éleveurs, quel que soit leur âge)…et les jeunes installés, qui ont investi dur (quand on commence à bosser, on croit qu’on va s’en sortir, parce qu’on est plein d’énergie, et donc on investit souvent un peu trop vite).

Je rappelle qu’il est prévu de longue date qu’il ne reste qu’environ 60.000 producteurs en 2012, et 45.000 en 2018. On pouvait penser que les plus anciens partiraient à la retraite, et que le renouvellement se ferait doucement, avec des agrandissements d’exploitations. En fait, on va voir des grosses structures récentes se casser la gueule, et des jeunes également…Il va rester des agriculteurs, dans la quarantaine, « assez bien assis » (certains de mes clients savent que leur point d’équilibre est à 200 euros/1000 litres, avant rémunération), mais qui ne réinvestiront pas dans les fermes laissées libres (mieux vaut mettre de l’argent, quand on en a, ailleurs, dans des investissements plus rentables, d’autant plus que si c’est travailler plus pour ne pas gagner grand-chose, alors mieux vaut ne rien faire). La différence avec les cultures, c’est que quand une ferme passe de 200 à 400 ha, sans augmenter de main d’œuvre, il suffit de prendre un tracteur deux fois plus gros pour faire le boulot deux fois plus vite. En élevage, les vaches ne vont pas faire deux fois plus de lait du jour au lendemain, donc ça veut dire deux fois plus de surveillance, et presque deux fois plus de boulot, si l’éleveur a la possibilité de doubler sa production. Et quand ces éleveurs arriveront à la retraite, il manquera tout un pan de jeunes agriculteurs qui ne reprendront pas les fermes…

Concernant la contractualisation, j’ai eu une discussion avec un représentant de la CONF, qui voyait là la marque de l’ultra-libéralisme de l’UMP…Pour moi, c’est plutôt du communisme ! Beaucoup de personnes qui travaillent avec vous (notamment dans les aliments et les machines à traire) ont vraiment peur de ce qui peut arriver. N’oubliez pas que dans la filière porcine, quasiment 100% des éleveurs sont intégrés…et que seuls ceux qui s’en sortent (pour combien de temps encore ?) sont les FAFeurs (qui fabriquent leur aliment à la ferme)…Si vous devenez intégrés, vous travaillerez pour les autres, pas pour vous…mais en gardant toutes les contraintes et les risques.



La reprise de vos fermes par de grands groupes financiers ? En France, la main-d’œuvre est trop chère. Comptez le nombre d’heures que vous faites, à quel moment (tous les matins vers 7h00…le soir tard, et ça, 7 jours sur 7), et appliquez le tarif horaire du SMIG : personne ne mettra de salariés à votre place…

Une piste, peut-être, consisterait à planter le système financièrement : transformer toutes vos exploitations en SARL, et prélever dessus un salaire…En tournant à plusieurs, vous pourriez vous mettre à tour de rôle en chômage technique, et profiter du système français. C’est ce que font toutes les grosses industries, quand ça va mal : les salariés sont au chômage technique, les dirigeants (qui ne sont vraiment pas des patrons à mes yeux) continuent de se verser des salaires mirobolants, et c’est le contribuable qui paye…

A propos des charges, ce que je dis à mes clients : vous êtes capables de produire du lait au prix mondial, si et seulement si tout le reste du système français est au cours mondial (les gens qui interviennent chez vous, les charges…). Donc à ceux qui vous disent de vous mettre au cours mondial, demandez-leur de mettre leur salaire au cours mondial !

Le risque est grand de voir le prix du lait encore baisser en 2010 (si vous ne faites rien). La barre des 200 euros (ou moins) est vraiment à envisager (les Néo-Zélandais et les Australiens produisent à plein)…

A vous de prendre votre destin en main, et d’arrêter de vous comporter comme des serfs aux mains des seigneurs (je pourrais écrire "saigneurs").

Bon courage !
Gaël GOUNOT
vétérinaire
81, Bd Edmond Roussin
35300 FOUGERES
g.gounot@wanadoo.fr"